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Les voix de Brazzaville pendant le coronavirus

, Alice Rahmoun
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Géorgine (à droite) et sa fille Amanda ont pu acheter des produits alimentaires de base grâce à l'assistance par transferts monétaires du PAM. Photo: WFP/Alice Rahmoun

Je m'appelle Alice. Je suis chargée de communication et depuis l'année dernière, je travaille pour le Programme Alimentaire Mondial (PAM) en République du Congo, à Brazzaville.

Brazzaville a changé depuis mon arrivée. Le premier cas de coronavirus a été déclaré au mois de mars et plusieurs restrictions s'en sont suivies : confinement, fermeture des frontières, interdiction de circuler. Les marchés sont ouverts seulement certains jours de la semaine pour permettre leur désinfection le reste du temps. Le PAM a identifié une forte augmentation de l'insécurité alimentaire, avec plus d'un tiers des familles concernées dans la capitale, contre environ 10% avant le COVID-19.

Depuis cinq mois, mon travail aussi a changé. Avant, j'allais régulièrement sur le terrain ou à l'intérieur [du pays] comme on dit au Congo.

Limiter les risques

Aujourd'hui, les missions se sont raréfiées, mais pas parce que les programme du PAM se sont arrêtés. D'ailleurs, de nouveaux programmes ont démarré, notamment à Brazzaville. Limiter les déplacements réduit les risques de propagation du virus.

Les embouteillages de taxis, eux, avaient en tout cas bien repris quand je me suis rendue dans le quartier dit « Château d'eau » il y a quelques jours. J'arrive à 10h au lieu de rendez-vous, la boutique d'Edmond. Trois femmes attendent devant la boutique, des masques en pagne coloré sur le visage et vestes bien fermées : c'est encore la saison sèche et il fait frais ! Une quatrième femme arrive.

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Edmond tient une des boutiques dans lesquelles les bénéficiaires peuvent faire leurs achats de produits alimentaires de base avec les transferts monétaires du PAM. Photo: WFP/Alice Rahmoun

Nous attendons Destin, un collègue de notre partenaire Caritas, en charge de la sensibilisation et du bon déroulement du programme sur le terrain. En attendant, je fais connaissance avec Edmond, le maître des lieux. Sa petite boutique, coincée entre un restaurant fermé et un imprimeur bon marché, est située au niveau d'un arrêt de bus très fréquenté.

Taxis verts et bus de toutes tailles défilent sans cesse dans un boucan qui rend parfois difficile la discussion. Avec fierté, Edmond me dit tout de suite qu'il travaille avec le PAM depuis 2013. Sa boutique faisait déjà partie du réseau de commerçants contacté par le PAM à l'époque pour la mise en place de filet de sécurité alimentaire avec le gouvernement congolais.

Il me dit que le COVID-19 a eu un impact sur toutes les activités commerciales. Sans travail, « les gens se sont retrouvés sans finance. Les achats ont baissé et donc ça a eu des répercussions sur notre chiffre d'affaire » ajoute-t-il. Heureusement, l'assistance du PAM pour les ménages vulnérables, c'est aussi donner un coup de pouce aux commerçants comme Edmond.

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Pour Victoire, l'assistance du PAM est indispensable pour se nourrir et nourrir sa famille. Photo: WFP/Alice Rahmoun

Dès la file d'attente devant la boutique, Victoire attire mon attention. Elle me demande si je suis Française et lâche avec malice qu'elle a habité à Paris. Oui, je suis française, j'ai vécu à Paris et je connais le quartier Charonne dont elle me parle. Quel début de conversation inhabituel avec une bénéficiaire du PAM ! Elle me dit qu'à l'âge de 9 ans, elle a été envoyée en France pour s'occuper des enfants d'un cousin. Elle y est restée 5 ans et a été renvoyée au Congo pour veiller sur sa mère, alors malade.

« Les gens n'ont plus d'argent. »

Aujourd'hui, Victoire a 54 ans et n'a pas de travail. Avant, des amies et des voisines l'aidaient à s'en sortir, elle et ses petits-enfants à charge. Mais maintenant, « ça ne marche plus » me dit-elle, « les gens n'ont plus d'argent ». L'assistance du PAM lui est indispensable pour se nourrir et nourrir sa famille. Avec le transfert monétaire reçu, elle achètera du riz mais pas du foufou (farine de manioc), devenu trop cher avec la crise sanitaire. Je la quitte sur un détail culinaire de sa part : l'avantage du riz, c'est que « ça peut se manger seul avec huile et oignon. Le foufou, ça demande un accompagnement. »

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Gracia a peur de sortir de chez elle, surtout la nuit. Photo: WFP/Alice Rahmoun

Gracia, 15 ans, ce n'est pas la cuisine qui l'intéresse mais la comptabilité. Alors que j'ai quasiment terminé ma mission, elle s'approche timidement. Il faut qu'Amanda, bénéficiaire elle aussi, fasse les présentations pour que la jeune fille prenne confiance et s'exprime. Elle était en 3ème cette année mais son père, qui était jardinier et seul membre de la famille à avoir un travail, est décédé en janvier. Personne n'a pu payer les frais de scolarité de Gracia, qui n'a pas pu passer le BEPC alors qu'elle aurait voulu continuer ses études au lycée technique.

« Dans les quartiers, dans la famille, dans tous les lieux où on vit on voit ça [les violences faites aux femmes et aux filles]. C'est pas bon les violences. »

Et puis, elle commence à me parler d'un autre sujet : si je suis venue voir les activités du PAM aujourd'hui, c'est accompagnée de collègues du FNUAP. Cette agence de l'ONU a déployé un psychologue, deux sages-femmes, une infirmière et une assistante sociale pendant les distributions du PAM pour sensibiliser, détecter les cas et orienter les victimes de violences sexistes et sexuelles pendant la période de confinement. Confinement propice aux violences au sein du cercle familial : plus d'une centaine de cas ont été recensés par les équipes en un mois et demi.

Or Gracia me dit qu'en ce moment, elle ne sort même plus la nuit, elle a peur. Sans hésitation, elle poursuit « Dans les quartiers, dans la famille, dans tous les lieux où on vit on voit ça [les violences faites aux femmes et aux filles]. C'est pas bon les violences. » Qu'une adolescente de 15 ans ait le courage de s'exprimer sur ce sujet auprès de personnes qu'elle ne connaissait pas deux heures plus tôt, me donne de l'espoir.

« Les violences dans les foyers, on en vit, on ne peut pas l'ignorer. »

D'ailleurs, Edmond le boutiquier, me disait plus tôt que les bénéficiaires, femmes comme hommes, étaient ravi.e.s de ces sensibilisations. Cette activité combinée à l'approvisionnement en nourriture leur fait gagner du temps et attire l'attention sur des faits connus de toutes et tous, et dont on ne parle pas souvent dans les quartiers de Brazzaville. « Les violences dans les foyers, on en vit, on ne peut pas l'ignorer. » ajoute-t-il.

Dans les prochains jours, une nouvelle vague de transferts monétaires aura lieu dans deux nouveaux quartiers de Brazzaville, à Ouenzé et à Bacongo. Et Bacongo, c'est mon quartier. Demain, les bénéficiaires du PAM seront peut-être mes voisines ou mes voisins.

Grâce aux transferts monétaires du PAM, nous pouvons au moins fournir un filet de sécurité, augmenter le pouvoir d'achat des familles tout en apportant un soutien aux commerçants ainsi qu'à l'économie locale — et cela n'a jamais été aussi important qu'en ces temps de pandémie.

Le PAM a lancé la première phase de sa réponse au COVID-19 en mai 2020, en fournissant une assistance via des transferts monétaires à 75 000 personnes vulnérables dans les quartiers périphériques de Brazzaville. Pour la deuxième phase, d'août à décembre 2020, l'assistance se concentrera sur 35 000 personnes identifiées comme étant en situation d'insécurité alimentaire sévère, et qui recevront de des transferts monétaires, ainsi que 75 000 enfants de moins de 5 ans et femmes enceintes et allaitantes, pour la prévention et le traitement de la malnutrition.